Mission humanitaire en Asie du Sud-Est
Le témoignage inspirant de David au Vietnam, en Thaïlande et au Cambodge
Je me souviens parfaitement du jour où j’ai tout laissé derrière moi pour m’envoler vers l’Asie du Sud-Est. Mon petit appartement sentait le carton et le scotch, les murs étaient nus, et je regardais mon passeport flambant neuf posé sur la table du salon. J’étais à la fois fébrile et terrifié.
Quand j’ai annoncé à mes proches que je partais plusieurs mois pour enseigner l’anglais et le français dans différents pays – le Vietnam, la Thaïlande, puis le Cambodge –, ils ont d’abord cru à une lubie. Ce n’était pas la première fois que je nourrissais des projets de voyage, mais je n’étais jamais parti aussi loin, ni aussi longtemps, et encore moins dans le cadre d’une mission humanitaire. Pourtant, dans ma tête, c’était clair : j’avais besoin de donner un sens nouveau à ma vie, de rompre avec ma routine et, surtout, de me sentir utile.
Pourtant, quitter la France n’a pas été une mince affaire : j’ai dû économiser durant plusieurs mois, régler des détails administratifs, démissionner de mon travail à mi-temps, informer mon propriétaire de mon départ… Sans parler des vaccins, de l’obtention des visas, et de l’organisation générale du voyage. À chaque petit obstacle que je franchissais, je ressentais un mélange d’appréhension et d’excitation.
L’idée de transmettre mon savoir en langues, d’apporter un peu de mon expérience à des élèves qui en auraient besoin, résonnait comme une évidence. Et puis, l’Asie du Sud-Est, je l’avais fantasmée tant de fois au travers de récits de voyageurs, de reportages ou de romans exotiques. Je rêvais de rizières en terrasses, de marchés flottants, de temples majestueux et d’une culture millénaire. En quelques semaines, tout s’est concrétisé, et, un matin de juin, j’ai embarqué sur un vol Paris-Hanoi, le cœur battant à tout rompre.
Mes premiers pas en Asie du Sud Est, au Vietnam
Lorsque j’ai posé le pied sur le sol vietnamien, à l’aéroport international de Noi Bai, je me suis tout de suite senti happé par l’atmosphère si particulière de cette région du monde. Il faisait chaud, une chaleur humide qui enveloppait tout. Des odeurs de nourriture de rue, de carburant et de fleurs de frangipanier se mêlaient dans l’air. Je me suis aussitôt senti étranger, déboussolé, et en même temps incroyablement vivant. J’avais hâte de découvrir cette ville qui fourmillait déjà sous mes yeux : Hanoi, la capitale. Les scooters passaient dans tous les sens, klaxonnant allègrement. Des gens riaient, discutaient fort, tentaient de me vendre des bouteilles d’eau ou des cartes SIM. Je n’avais jamais rien vu de tel.
J’ai rejoint le coordinateur local de l’association pour laquelle j’allais travailler. Il s’appelait Hung, et son sourire bienveillant m’a tout de suite rassuré. Il m’a conduit jusqu’à un petit logement de volontaires dans le quartier de Ba Đình. La chambre était simple, avec un lit à moustiquaire, un ventilateur bruyant et une table en bois où j’allais pouvoir préparer mes cours. Je me suis allongé un instant, épuisé par le décalage horaire, mais ravi de pouvoir enfin me dire : « Ça y est, j’y suis. »
Le lendemain, j’ai découvert l’école où j’allais enseigner l’anglais et le français. Il s’agissait d’un centre communautaire, niché au fond d’une rue animée. Dès mon entrée, j’ai été accueilli par des sourires timides et des regards curieux. Les enfants qui jouaient dans la cour ont interrompu leurs jeux pour me dévisager. La directrice, Madame Linh, m’a expliqué la situation : la plupart des enfants venaient de familles modestes, et le centre proposait des cours de renforcement en anglais, mathématiques et d’autres matières générales. Elle souhaitait aussi que je donne quelques sessions de français, car certains adolescents espéraient un jour étudier dans un pays francophone. J’allais avoir des classes de niveaux variés, des petits de huit ou neuf ans, jusqu’à des jeunes de dix-sept ans, déjà presque adultes. Le défi me paraissait immense : comment adapter mon enseignement à un public aussi hétérogène ?
L’adaptation à la culture vietnamienne
Les premiers jours ont été marqués par une sorte de choc culturel. J’ai dû m’habituer au bouillonnement permanent de la rue : des klaxons, encore et toujours, des vendeurs ambulants criant leurs produits, des odeurs de cuisine qui s’échappent des petites échoppes. Je me suis vite rendu compte que les Vietnamiens ont un rythme de vie très différent du nôtre. Ils se lèvent tôt, prennent souvent un petit déjeuner copieux en terrasse, puis ils filent travailler. Le soir, les trottoirs se transforment en restaurants improvisés, où l’on mange un bol de phở fumant sur des tabourets en plastique. Je trouvais tout cela fascinant.
À l’école, la barrière de la langue s’est vite fait sentir. Je parlais anglais, certes, mais mon vietnamien se limitait à un sourire gêné et à quelques mots de politesse que j’avais appris rapidement. Il me fallait donc user de patience et de pédagogie avec mes élèves. Heureusement, j’ai découvert que beaucoup d’entre eux étaient extrêmement motivés. Ils prenaient des notes, levaient la main pour poser des questions, et restaient souvent après le cours pour me demander de l’aide supplémentaire. J’ai appris à les connaître et à comprendre leurs rêves. Certains voulaient voyager, d’autres rêvaient de travailler dans l’hôtellerie ou la restauration, et d’autres encore étaient simplement curieux d’explorer la culture occidentale à travers la langue. J’ai senti à quel point l’accès à la connaissance, pour eux, était précieux.
En parallèle, j’ai pu explorer un peu la région autour de Hanoi. Hung m’a accompagné jusqu’à la baie d’Ha Long, véritable merveille naturelle, où des centaines de pains de sucre verdoyants émergent de l’eau turquoise. Ce fut une expérience presque mystique de naviguer entre ces îlots, de voir les petits villages de pêcheurs flottants et de croiser des dauphins au loin. J’ai aussi fait un détour par Sa Pa, dans le nord montagneux, où j’ai traversé des rizières en terrasses, guidé par des habitantes de l’ethnie Hmong. J’y ai découvert une autre facette du Vietnam, plus rurale, plus silencieuse, et tout aussi enrichissante.
Les défis de l’enseignement au Vietnam
Très vite, je me suis retrouvé confronté à plusieurs difficultés. D’abord, le matériel pédagogique n’était pas toujours au rendez-vous. Dans certaines classes, je n’avais qu’un vieux tableau et quelques craies. Les livres de cours étaient parfois obsolètes, et il m’a fallu faire preuve d’ingéniosité pour rendre mes leçons vivantes. J’ai commencé à créer mes propres supports, à préparer des jeux de rôles, à imprimer des images à partir de mon ordinateur portable (quand la connexion Internet le permettait) pour varier les activités. L’idée était d’aider les élèves à sortir de la simple mémorisation pour vraiment s’approprier la langue.
Ensuite, j’ai pris conscience de la différence d’approche pédagogique entre la France et le Vietnam. Ici, on valorise beaucoup la récitation, l’apprentissage par cœur, la discipline. De mon côté, j’avais envie de mettre en place des discussions interactives, d’encourager la prise de parole spontanée, voire de faire un peu d’improvisation. Il m’a fallu du temps pour trouver un juste équilibre entre ces deux méthodes. Les professeurs locaux étaient curieux de mon approche, mais certains se montraient sceptiques : « Ici, les élèves aiment avoir un cadre strict », me disaient-ils. « S’ils sortent de leur zone de confort, ils risquent d’être perdus. » J’ai donc progressé pas à pas, en expliquant régulièrement mes intentions, en invitant mes collègues à participer à mes activités, et, peu à peu, les enfants ont commencé à s’ouvrir. Ils riaient, posaient plus de questions, essayaient de s’exprimer même avec un vocabulaire limité. Ça m’a procuré une grande fierté.
Au fil des semaines, j’ai noué des liens profonds avec certains élèves. Il y avait Thanh, un adolescent de seize ans qui rêvait de devenir guide touristique. Il venait me voir après chaque cours pour me demander des conseils sur la prononciation. Un jour, il m’a invité chez lui, dans un petit appartement modeste, et toute sa famille m’a accueilli comme un roi. On a partagé un repas traditionnel à même le sol, et même si nous ne parlions pas la même langue, les sourires et les gestes suffisaient à communiquer la générosité et l’hospitalité qui caractérisent tant de Vietnamiens. À ce moment précis, j’ai réalisé que ma mission dépassait largement le fait d’enseigner quelques heures de langue par jour : c’était avant tout un échange humain.
Après quelques mois, l’heure est venue pour moi de poursuivre ma route. J’avais prévu de passer ensuite en Thaïlande, pour un nouveau volet de la mission. Quitter Hanoi a été un crève-cœur. Je m’étais tellement attaché à cette ville, à son agitation, à sa nourriture de rue, à ses lacs où les gens faisaient du tai-chi le matin. J’ai fait mes adieux à l’école, à mes élèves, à la directrice. Ils m’ont offert des petits présents : des dessins, des messages sur lesquels ils essayaient d’écrire « Merci David » en français, et un foulard traditionnel que je garde encore précieusement. J’ai promis de revenir un jour, et je suis parti un matin d’automne, en bus, vers l’aéroport.
L’arrivée en Thaïlande,
En atterrissant à Bangkok, j’ai eu l’impression de changer de planète. La ville est immense, à la fois moderne et ancrée dans une tradition séculaire. Je découvrais des gratte-ciel impressionnants, des centres commerciaux flamboyants, puis, au détour d’une ruelle, des temples bouddhistes scintillants et des petits marchés où l’on vendait de la nourriture épicée à même la rue. Le réseau de transports, entre le BTS (métro aérien) et les tuk-tuk, était un joyeux chaos dans lequel je me suis plongé avec curiosité. J’ai pris quelques jours pour me réorienter, me familiariser avec les sons de la langue thaï, qui me paraissait aussi mélodieuse qu’incompréhensible.
L’association m’a ensuite envoyé dans une école primaire située à une centaine de kilomètres au nord de Bangkok, en zone semi-rurale. Je logeais chez une famille d’accueil, qui tenait une sorte de petite ferme. Ici, le paysage contrastait avec l’effervescence de la capitale : les rizières s’étendaient à perte de vue, ponctuées de palmiers et de buffles paissant nonchalamment. L’école était un bâtiment plutôt sommaire, composé de trois salles de classe, d’une cour en terre battue, et d’un petit bureau pour les enseignants.
Découvrir la Thaïlande rurale
Mon rôle consistait à enseigner l’anglais à des enfants de sept à onze ans. Parfois, je donnais aussi de courtes initiations au français, surtout à la demande de la directrice, qui trouvait intéressant d’exposer les élèves à une seconde langue étrangère, même si c’était plus anecdotique. Les enfants étaient adorables, toujours souriants, mais j’ai rapidement compris que la discipline pouvait être un défi.
En effet, dans cette école, l’apprentissage reposait beaucoup sur la répétition et des méthodes très traditionnelles, ce qui lassait facilement les élèves. Certains s’endormaient même en classe, car ils aidaient leurs parents aux champs avant de venir. Pour les motiver, j’ai donc essayé d’introduire des chansons, des jeux, des coloriages, des petites pièces de théâtre simples. Les premiers jours, ils me regardaient comme si j’étais un extraterrestre : « On va apprendre en chantant ? Mais comment ? » Puis, peu à peu, ils se sont pris au jeu, et leur enthousiasme était communicatif.
La famille qui m’hébergeait m’a beaucoup aidé à comprendre la vie rurale. Le matin, je me levais avec le soleil, vers cinq ou six heures, pour profiter de la fraîcheur relative. On allait parfois nourrir les buffles, cueillir des légumes dans le potager, puis on partageait un repas simple mais délicieux : du riz gluant, des légumes sautés, des fruits tropicaux. Ensuite, je filais à l’école, souvent à vélo, sur un chemin de terre bordé de cocotiers.
Les journées passaient à toute vitesse, entre les cours, les discussions avec les enseignants locaux, et les petites pauses pendant lesquelles je m’efforçais d’apprendre quelques mots de thaï. Le soir, je rentrais manger un bol de soupe épicée, je prenais une douche fraîche (parfois à l’eau froide, faute de chauffe-eau), et je m’asseyais dans la cour pour admirer le coucher de soleil. Le ciel se teintait alors d’un rouge flamboyant, et les grillons chantaient à tue-tête. Cette quiétude tranchait avec le brouhaha d’Hanoi, mais je m’y suis senti incroyablement bien, comme apaisé.
Les valeurs bouddhistes et les fêtes locales
En Thaïlande, j’ai été confronté à la présence forte du bouddhisme dans la vie quotidienne. Chaque matin, des moines passaient dans le village pour collecter des offrandes : riz, fruits, légumes. Les habitants sortaient pour leur donner une portion de nourriture et recevoir une bénédiction en retour.
À l’école, avant le début des cours, les élèves se réunissaient souvent pour un moment de prière et de recueillement. Ils s’inclinaient devant le portrait du roi, chantaient l’hymne national, puis effectuaient une courte méditation. Au début, j’étais un peu intimidé, n’étant pas bouddhiste moi-même, mais j’ai compris que ce rituel faisait partie intégrante de l’éducation thaïlandaise. On y apprend le respect, la gratitude, la valeur de l’humilité.
J’ai également eu la chance de participer à Loy Krathong, l’une des fêtes les plus célèbres du royaume. On y célèbre la fin de la saison des pluies et on remercie la déesse de l’eau. La nuit, on dépose de petits paniers en forme de lotus, garnis de fleurs et de bougies, sur la rivière. C’est un spectacle magique de voir toutes ces lumières flotter, emportant avec elles nos vœux et nos regrets. Les enfants de l’école avaient préparé leurs propres krathongs, et ils étaient fiers de me montrer leurs créations. Certains avaient même caché des pièces de monnaie dans le panier, croyant que cela leur porterait chance.
Au fil des semaines, j’ai pu apprécier la bienveillance des habitants. Partout, on me souriait, on me proposait de goûter un plat, de prendre le thé. Bien sûr, tout n’était pas idyllique : la pauvreté existait dans ce village, et l’accès à une éducation de qualité restait compliqué pour de nombreux enfants. Les familles, souvent agricultrices, avaient du mal à subvenir à tous les besoins. Malgré cela, je ressentais une forme de solidarité que je n’avais jamais vue auparavant. Les villageois s’entraidaient, partageaient le peu qu’ils avaient. Leur sens de la collectivité m’a profondément inspiré.
Le passage au Cambodge
Après plusieurs semaines, j’ai finalement quitté la Thaïlande pour gagner le Cambodge, dernière étape de mon périple. J’ai pris un bus jusqu’à la frontière, puis un autre jusqu’à Phnom Penh, la capitale cambodgienne. Le contraste était saisissant. Phnom Penh est bruyante, chaotique, avec un trafic où tuk-tuk, motos, voitures et piétons se partagent la route dans un grand désordre. Les bâtiments coloniaux décrépits côtoient des immeubles neufs, et l’on devine encore dans certains coins les marques douloureuses de l’histoire récente du pays, ravagé par le régime des Khmers rouges dans les années 1970.
J’ai passé quelques jours à visiter la ville, à flâner sur les rives du Tonlé Sap et du Mékong, à explorer le marché central, où l’on trouve de tout : des vêtements, des épices, des bijoux, des plats typiques à base de poisson. J’ai eu l’occasion de visiter le Tuol Sleng Genocide Museum, l’ancienne prison S-21, un lieu de mémoire atroce qui raconte la terreur du régime de Pol Pot. J’en suis sorti bouleversé, réalisant l’ampleur des souffrances endurées par le peuple cambodgien.
Ensuite, je me suis rendu à Siem Reap, plus au nord, pour travailler dans une école communautaire qui offrait des cours gratuits d’anglais et de français aux enfants des villages environnants. Cette région est surtout connue pour les temples d’Angkor, un complexe archéologique spectaculaire classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Quand j’ai découvert pour la première fois Angkor Wat à l’aube, la silhouette imposante du temple se détachant sur un ciel rose, j’ai été submergé par l’émotion. C’était un rêve d’enfant qui se réalisait, et j’ai compris pourquoi tant de voyageurs sont fascinés par ce lieu chargé d’histoire et de spiritualité.
La réalité de l’enseignement au Cambodge
Dans l’école où je travaillais, la situation matérielle était encore plus précaire qu’au Vietnam ou en Thaïlande. Il manquait cruellement de manuels, de stylos, de chaises et même parfois de salles de classe pour accueillir tout le monde. Beaucoup d’enfants n’avaient pas les moyens de se rendre à l’école tous les jours, car leurs parents avaient besoin d’eux dans les champs ou pour vendre des souvenirs aux touristes. Ceux qui parvenaient à venir assidûment affichaient cependant une soif d’apprendre impressionnante. Ils savaient que la maîtrise de l’anglais, en particulier, pouvait leur permettre de trouver un emploi dans le secteur touristique en pleine croissance à Siem Reap, ou de poursuivre des études dans la capitale.
Mon rôle était double : enseigner l’anglais et le français aux élèves, mais aussi former de jeunes enseignants locaux à de nouvelles méthodes pédagogiques. J’ai découvert des jeunes Cambodgiens incroyablement courageux, marqués par l’héritage douloureux de leurs parents ou grands-parents, mais déterminés à offrir un meilleur avenir à leur pays. Certains avaient vécu dans des orphelinats, d’autres avaient vu leur famille décimée par la pauvreté. Pourtant, ils respiraient la joie de vivre et l’espoir. Chaque jour, nous préparions des cours ensemble, échangeant sur nos visions respectives de l’enseignement. Ils étaient curieux de savoir comment fonctionnaient les écoles en Europe, comment motiver les élèves, comment rendre la classe plus interactive. De mon côté, j’avais énormément à apprendre sur leur culture, leur humour, leur façon d’aborder les difficultés sans jamais se plaindre.
Les cours se déroulaient dans une salle ouverte sur l’extérieur, avec un toit en tôle. Les enfants s’asseyaient sur de vieux bancs en bois, et je leur montrais des images sur mon ordinateur portable quand la batterie tenait le coup et que nous avions une connexion Internet fonctionnelle. Souvent, l’électricité sautait en plein milieu d’une leçon, et nous devions alors continuer à la lumière du jour, avec pour seuls outils un tableau noir et quelques craies. Au début, ça m’a déstabilisé. Puis j’ai compris que c’était la norme ici, et j’ai appris à improviser. Au lieu de projections PowerPoint, on faisait des jeux de rôles, des chansons, ou on lisait des mini-textes rédigés à la main. Peu importait la forme, du moment que les élèves progressaient et s’amusaient.
Le choc émotionnel et la beauté du partage
J’ai vécu des moments très forts au Cambodge. Des moments de tristesse, en voyant la précarité de certaines familles qui vivaient dans des maisons sur pilotis à la lisière des rizières, sans eau courante ni électricité, sans certitude d’avoir un repas complet chaque jour. Des moments de joie, quand un élève parvenait enfin à construire une phrase en anglais, ou qu’un groupe de collégiens chantait avec moi une comptine française, en riant de leur propre accent. J’ai pleuré en assistant à la prière bouddhiste d’un matin, lorsque des moines sont venus bénir l’école, et que tous les enfants se sont recueillis en silence, leurs mains jointes, leurs yeux fermés. Un sentiment de paix a alors flotté dans l’air, et j’ai compris que, malgré toutes les épreuves, ce peuple gardait une force intérieure remarquable.
Le weekend, je profitais souvent de mon temps libre pour explorer les temples d’Angkor, ou me promener dans les villages alentour. Là-bas, j’ai croisé des familles souriantes qui cultivaient du riz, des enfants qui jouaient avec une vieille balle crevée, des grands-parents qui me faisaient signe de la main depuis leur hamac. J’ai aussi été invité à plusieurs fêtes de village, où l’on dansait sur de la musique khmère, où l’on buvait des jus de fruit sucrés, et où l’on me demandait parfois de dire quelques mots en français ou d’enseigner une chanson occidentale. C’était toujours un grand moment d’échange, un pont jeté entre deux cultures qui, a priori, n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est l’humanité qui nous relie tous.
Le retour en France et le bilan intérieur
Quand la fin de ma mission est arrivée, j’ai ressenti un pincement au cœur. Je m’étais attaché à ce pays, à ses sourires, à sa chaleur, à ses contradictions aussi. Les enfants m’ont organisé une petite fête d’adieu, avec des danses traditionnelles, des guirlandes de fleurs, et même un gâteau qu’ils avaient préparé eux-mêmes. Chacun m’a offert un petit mot, un dessin ou un bracelet en tissu. J’étais ému aux larmes. Je ne savais pas si je reviendrais un jour, mais je sentais déjà que cette expérience resterait gravée en moi pour toujours.
Revenir en France après plusieurs mois en Asie du Sud-Est a été un vrai choc. J’ai retrouvé mes repères, mes amis, ma famille, mais j’avais l’impression d’être un peu différent. Je ressentais à la fois un décalage et une forme de gratitude pour le confort dans lequel nous vivons. J’ai mis du temps à raconter mon parcours, car je ne savais pas par où commencer. Comment expliquer en quelques mots la richesse de cette aventure ? Comment décrire la saveur du phở vietnamien, la douceur des rizières thaïlandaises au lever du soleil, la résonance spirituelle des temples d’Angkor ? Comment raconter les rires, les larmes, les épreuves, les sourires échangés, les barrières de la langue franchies ?
Au fil des jours, j’ai compris que je ne pourrais jamais tout retranscrire fidèlement. Que la mission humanitaire n’est pas simplement un acte altruiste, mais aussi un voyage intérieur. Qu’on part souvent en pensant « aider » les autres, et qu’on finit par réaliser qu’on reçoit au moins autant qu’on donne. J’ai appris la patience, la résilience, l’adaptabilité et réalisé à quel point les langues étaient un outil précieux pour connecter les êtres, et pas seulement un ensemble de règles grammaticales à appliquer.
Vu la force d’une communauté qui se rassemble pour l’éducation, l’entraide, la préservation de ses traditions. J’ai compris, aussi, qu’il restait tant à faire pour soutenir ces populations, pour leur assurer un accès plus équitable aux ressources et aux opportunités.
Aujourd’hui, je garde le contact avec certains collègues et élèves via les réseaux sociaux, quand ils ont la possibilité de s’y connecter. Je reçois parfois des messages hésitants en anglais, des photos, des nouvelles des avancées de leurs projets. Je leur envoie des encouragements, des conseils, et je rêve de pouvoir un jour y retourner, ne serait-ce que pour voir comment les choses ont évolué.
Mon expérience au Vietnam, en Thaïlande et au Cambodge a changé ma vision du monde. Elle m’a donné envie de poursuivre dans la voie de la solidarité internationale, de partager mon expérience, et de continuer à me former pour être davantage utile sur le terrain. Surtout, elle m’a appris la valeur inestimable de l’échange humain, de ce lien qui se tisse lorsque l’on décide de s’ouvrir à l’autre et de donner un peu de soi.
En repensant à toute cette épopée, je ressens une profonde gratitude envers les personnes qui m’ont accueillies, nourries, logées, enseigné leur langue, leur culture, leur histoire. Gratitude envers mes élèves, qui m’ont montré qu’il n’y a pas de barrière insurmontable quand on est animé par la curiosité et la bienveillance. Enfin, envers la vie, tout simplement, qui m’a permis de vivre cette aventure, de grandir au contact de cultures si différentes de la mienne, et de revenir avec un regard neuf sur les priorités de l’existence.
Si je devais donner un seul conseil à quelqu’un qui hésite à partir en mission humanitaire, ce serait le suivant : allez-y, lancez-vous. Vous aurez des moments de doute, des peurs, des incompréhensions. Vous serez confronté à des réalités difficiles. Mais vous ferez des rencontres exceptionnelles, vous découvrirez une force en vous que vous ne soupçonniez pas, et vous verrez le monde sous un jour nouveau. L’important est de partir avec humilité, en se disant qu’on ne va pas sauver la planète, mais qu’on peut apporter une petite pierre à l’édifice, et qu’en échange, on reçoit souvent beaucoup plus que ce qu’on avait imaginé.
Aujourd’hui, je ferme parfois les yeux et je revois Thanh à Hanoi, m’offrant un bol de soupe fumante ; je revois les rizières thaïlandaises baignées de lumière au crépuscule ; je revois les sourires des enfants cambodgiens tenant leurs livres d’anglais contre leur cœur, comme un passeport vers un avenir meilleur. Toutes ces images se superposent, me rappelant à quel point le monde est vaste, riche, complexe, et beau. Il n’est pas parfait, loin de là, mais il existe partout des gens qui, à leur échelle, font de leur mieux pour construire, partager et aimer. C’est ce que j’ai appris au fil de mes missions d’enseignement : aussi différentes que soient nos existences, nous sommes tous unis par cette humanité qui ne demande qu’à s’exprimer dès lors qu’on la nourrit d’échange et de respect.
Au final, je me sens chanceux d’avoir pu vivre ces quelques mois en Asie du Sud-Est. Cette mission a été un tournant dans ma vie, un moment où j’ai pris conscience que l’on peut trouver du sens dans la rencontre, dans la transmission, dans la solidarité. J’espère que ce récit encouragera certains à se lancer à leur tour, à découvrir cette partie du monde, et à s’impliquer dans des projets éducatifs ou humanitaires.
« Peu importe la durée, peu importe l’endroit exact, car ce qui compte, c’est la démarche, l’élan du cœur. »
C’est cette volonté d’aller vers l’autre, de s’émerveiller, de se remettre en question et de grandir ensemble. De mon côté, je sais que le Vietnam, la Thaïlande et le Cambodge resteront à jamais gravés dans ma mémoire comme trois pays qui m’ont offert bien plus que de simples souvenirs : ils m’ont montré la voie d’une humanité à la fois fragile et résiliente, et m’ont insufflé une foi inébranlable en la possibilité de bâtir des ponts entre les cultures. Un sourire, un geste, un mot appris dans une nouvelle langue : autant de petites graines semées sur le chemin d’une solidarité qui, je l’espère, continuera de grandir partout sur la planète.
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